• A quoi doit servir l’université ? table ronde - l'Humanité des débats 30 mai

    Avec Frédérique Bassino, professeur d’informatique à Paris-XIII, membre de la commission administrative nationale du SNES-SUP ; Isabelle Bruno, maître de conférences en sciences politique à Lille-II ; Jean-Louis Fournel, maître de conférence en langue et littérature à Paris-VIII, président de Sauvons l’université (SLU) ; François Vatin, professeur de sociologie à Paris-Ouest-Nanterre, signataire du « Manifeste pour la refondation de l’université française ».

    Le mouvement de rejet de la réforme gouvernementale fédère enseignants, étudiants, personnels de l’université, comme cela a rarement été le cas. Est-ce que vous vous battez pour le statu quo ou pour une autre réforme ?

    Jean-Louis Fournel. Contrairement à ce qu’ont voulu dire nos adversaires, ce mouvement n’est pas conservateur, il n’est pas favorable au statu quo. Nous avons tous demandé, depuis le début, des négociations globales parce que nous sommes profondément conscients qu’il y a une crise globale de l’université et que c’est de là qu’il faut partir. Quelle que soit la façon dont la ministre, avec une brutalité qui n’a eu d’égale que son incapacité à dialoguer dans les mois précédents, a fait agir les recteurs comme des préfets en mission, ce mouvement n’est pas terminé. Ce qui est en jeu est trop important pour qu’il s’arrête.

    Isabelle Bruno. Les assemblées générales auxquelles j’ai assisté à Lille témoignent d’une double prise de conscience. De plus en plus de collègues sont convaincus que nous sommes engagés dans une lutte de longue durée et que cette lutte n’est pas simplement dirigée contre le gouvernement actuel. La casse du service public d’enseignement supérieur et de recherche ne concerne pas seulement la France, mais elle s’inscrit au niveau européen, avec une implication de plus en plus forte des institutions communautaires (Commission, Conseil) et d’autres acteurs comme l’Association européenne de l’université, très active dans le « processus de Bologne », ou le récent G8 des universités (1). C’est à ce niveau que nous devons créer un rapport de forces. Nous ne sommes pas dans une bataille corporatiste pour la survie d’une institution qui persisterait dans son être, mais dans une bataille politique opposant des projets de société.

    Frédérique Bassino. L’emploi, le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche, la place des formateurs dans notre société à travers la question du statut, de la formation, du mode de recrutement des enseignants-chercheurs, des enseignants du primaire et du secondaire sont des axes importants du mouvement. La volonté de toute la communauté universitaire de discuter sur l’ensemble témoigne d’une réflexion globale. Et des idées importantes ont été réaffirmées, comme le fait que le savoir n’est pas une marchandise ou comme l’attachement du monde de l’université et de la recherche à la collégialité et à la coopération.

    François Vatin. Il ne peut y avoir de statu quo parce que c’est une chose de gagner un combat politique contre un gouvernement qui engage des réformes qui ne nous satisfont pas, c’est une autre chose de gagner un combat pratique vis-à-vis d’un public qui, pour des raisons diverses, privilégie de façon systématique des dispositifs sélectifs, professionnalisants, voire payants. Il ne suffit pas de dire que la qualité de l’enseignement dans l’université française est bonne, ce dont je suis persuadé - encore faut-il en convaincre ce public. Lorsque, comme je l’ai vu, un chauffeur de taxi se sent obligé de payer très cher une école privée préparant au concours d’orthophoniste pour sa fille qui vient de réussir le bac S avec mention très bien, on mesure que nous avons un défi difficile à relever. C’est ce qui me mobilise, parce que c’est par ce biais qu’on accroît l’injustice sociale.

    La mise en concurrence de l’université, d’abord avec les grandes écoles, ensuite avec de multiples écoles professionnalisantes, notamment privées, s’est amplifiée au cours des dernières années. Le gouvernement ne cherche-t-il pas à inscrire encore davantage l’université dans cet environnement en la privatisant par morceaux ?

    Jean-Louis Fournel. Le député rapporteur de la loi LRU, Benoist Apparu, a dit explicitement que le problème de l’université française était son insuffisante adaptation au monde de l’économie. On voit ce qu’il a en tête. Nous ne pouvons accepter qu’on impose dans le champ universitaire les critères qui prévalent dans l’organisation du champ économique. Par ailleurs, il ne faut pas ignorer que, selon l’OMC et l’OCDE, dont les directives sont très claires sur le sujet, le savoir est un bien marchand comme un autre. Quant aux grandes écoles, la question est un peu différente. Elles sont une particularité française, des lieux où se forme intégralement le groupe dirigeant de l’État et de l’économie, mais où, sauf exception, on fait peu de recherche scientifique. Le paradoxe, c’est qu’on demande à l’université d’être le lieu de production de la recherche, mais on organise le « siphonnage » des meilleurs étudiants vers les grandes écoles. Aucun gouvernement, de droite comme de gauche, n’a su traiter ce problème.

    Frédérique Bassino. Il est peu fair-play de mettre en parallèle les résultats des universités avec ceux des grandes écoles où on a dirigé les meilleurs étudiants en leur donnant de surcroît deux fois plus de moyens. Dans tous les cas, quelles que soient les comparaisons, lé est le parent pauvre de l’enseignement supérieur.

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