• L’évaluation et les listes de revues - par Florence Audier ds La vie des idées.fr

    L’évaluation, et la place qu’y occupe la bibliométrie, sont au cœur des débats actuels. Les enjeux sont majeurs : seront dotées en crédits les universités considérant la bibliométrie comme l’indicateur suprême de l’activité et de la qualité de la recherche. Or, comme le montre Florence Audier, les Français ont désigné comme cible d’excellence des revues auxquelles ils n’accèdent pas, sauf réseaux particuliers.

     
    Depuis longtemps, les économistes et les gestionnaires, s’inspirant en cela des pratiques de communautés scientifiques appartenant aux « sciences dures », comme celles de physique ou de chimie, ont érigé la publication d’articles dans des revues internationales « à comité de lecture » comme étant le meilleur critère « d’excellence », avec à la clé une hiérarchisation plus ou moins explicite de ces revues, dont la plupart sont anglo-saxonnes.

    Plus récemment, une « liste de revues », cette fois clairement hiérarchisée, a été construite par et pour la section 37 du Comité national (qui est en charge de l’économie et de la gestion), dans le double but d’être une « aide à la décision et non pas un moyen de classement aveugle et automatique qui se substituerait eo ipso à une instance d’évaluation et de jugement scientifique » [1]. Plus précisément, il s’agissait pour ses initiateurs de mettre sur pied, avec la communauté concernée, une liste devant « servir aux évaluateurs à mieux repérer les revues reconnues et considérées comme de référence ». Avec aussi le souci, « dans un contexte où la bibliométrie gagne du terrain […] de ne pas se faire imposer de l’extérieur un classement moins soucieux de représenter les divers domaines de l’économie et de la gestion ». L’enjeu était donc de donner en quelque sorte un même thermomètre à tous, de fournir des points de repères sur des disciplines ou sous-disciplines que les évaluateurs (qu’ils soient d’ailleurs des pairs ou des nommés) ne connaissent pas forcément, voire réduire les conséquences des nombreuses idées préconçues qui circulent dans le milieu.
    Ce système est à présent en œuvre, et la bibliométrie, assortie de toutes ses sophistications, se généralise à l’insu de la plupart de nos collègues ; pire, l’AERES (l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) prétend évaluer en classant sur de tels critères externes les unités, voire les personnes, et imposer ses « diagnostics » à l’ensemble de la communauté scientifique, allant même jusqu’à préconiser, outrepassant ainsi son mandat, des modifications de structures. Le moment nous semble donc propice à un examen plus attentif du sens que revêtent les « listes », en particulier la liste en question ; il convient de décrire, par une étude précise, quels sont les contributeurs aux revues que la communauté française des économistes et gestionnaires a placées en tête de liste.

    Car l’utilisation de ces « outils » dépasse largement celle qui leur était initialement dévolue, et à travers eux se jouent la conception du travail scientifique et son éventuelle fécondité. Aussi, c’est sur ces critères d’évaluation et les pièges qu’ils recèlent que nous voudrions apporter des éléments de discussion, surtout grâce aux données empiriques que cet article contient. En effet cet indicateur, via l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES) et la DPA du CNRS, tend à envahir toute la sphère de l’évaluation et à éclipser tous les autres, bref, à se généraliser partout et peut-être pour toujours, en dépit des très nombreuses critiques qui émanent de toutes parts, des laboratoires comme des « sociétés savantes » et même des éditeurs de revues [2]. Car les choses vont très loin : faut-il rappeler que certains, membres du CNU, évoquent ces classements de revues pour décerner – ou non – la « qualification aux fonctions de maître de conférence », exigeant que des jeunes qui viennent d’achever leur thèse aient déjà deux publications, si possible comme premiers signataires ; et que certains (parfois les mêmes d’ailleurs) souhaitent voir décerner des primes aux heureux accédants… aux revues « top niveau » ! Dans d’autres disciplines, notamment en sciences humaines et sociales mais aussi en astronomie, par exemple, des communautés de scientifiques, et non des moindres, se sont levées pour récuser cette « dictature de la publication » résumée par le célèbre « publish or perish », et le European Reference Index for the Humanities a d’ailleurs renoncé à la notation des revues en A, B ou C, pour s’en tenir à des listes indifférenciées.


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