• Le poker menteur de Valérie Pécresse

    Par André Gunthert

    Les enseignants-chercheurs avaient-ils des craintes sur les dérives du présidentialisme promu par les lois et projets du gouvernement? Pour mieux les en convaincre, Valérie Pécresse a choisi d'incarner jusqu'à la caricature tous les défauts possibles de la gouvernance qui attend les établissements post-LRU. Absence d'écoute et de dialogue, pilotage autoritaire, double langage, manipulations médiatiques: tels sont quelques-uns des traits saillants qu'a fait apparaître la gestion ministérielle de la crise.

    Le décret sur le nouveau statut des enseignants-chercheurs a été rédigé sans la moindre concertation. Il comprend pourtant plusieurs décisions explosives. Dans un contexte de gel des postes statutaires et d'inflation des tâches administratives, exigées par la logique de fonctionnement sur projet, la perspective de modulation d'une charge d'enseignement déjà trop lourde ne pouvait que mettre le feu au poudres.

    Dès le 22 janvier 2009, la réunion d'une coordination nationale des universités, suivie par une manifestation d'une ampleur sans précédent le 10 février, qui fait descendre dans la rue plusieurs dizaines de milliers d'enseignants, de chercheurs, d'ingénieurs et d'étudiants, formaient autant de symptômes d'une protestation historique. Loin de rechercher le dialogue, Valérie Pécresse choisit dès ce moment une gestion strictement politicienne de la crise, en accumulant des opérations de diversion et de communication qui s'adressent, non à la communauté universitaire, mais prioritairement à l'opinion publique.

    Dans un calendrier scandé par les réunions de la coordination des universités, le ministère a recouru a deux reprises, les 27 février et 6 mars, à la mise en scène d'une réécriture hâtive du décret, précédée par un simulacre de négociation avec quelques syndicats minoritaires, pour pouvoir annoncer victorieusement une "sortie de crise", immédiatement relayée par la presse et la télévision.

    Cette stratégie d'affichage en direction des médias s'appuie sur leur méconnaissance du terrain. Lorsqu'on sait que le taux d'absention aux élections du CNESER (Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche, organe consultatif élu) était de plus de 80% en 2007 pour les personnels enseignants, on comprend que l'influence des syndicats est en chute libre à l'université. La défiance des enseignants-chercheurs face à ces organisations incapables d'enrayer la dégradation de leurs conditions de travail explique la naissance d'associations militantes comme "Sauvons la recherche" (SLR) en 2003 ou "Sauvons l'université" (SLU) en 2007.

    Le mouvement de 2009 est construit autour de la coordination nationale, organisation indépendante réunissant les délégués élus de quelque 75 universités et institutions: enseignants-chercheurs, personnels et étudiants, dont personne sur le terrain ne songe à nier la représentativité – à commencer par l'Intersyndicale de l'enseignement supérieur, qui a calé depuis janvier le calendrier des manifestations sur les motions votées par l'assemblée. Outre SLR et SLU, les syndicats régulièrement représentés comprennent le SneSUP, la Ferc-CGT, SNPREES-FO, SNCS-FSU, Sud Education ou Sud Recherche (soit 55% des voix des enseignants-chercheurs aux dernières élections du CNESER).

    En comparaison, les quatre syndicats ayant répondu à l'appel de Valérie Pécresse, le Sgen-CFDT, Sup'Recherche UNSA, FO et AutonomeSup (totalisant moins de 33% des voix au CNESER), peinent à faire illusion. L'idée d'une "négociation" entre le ministère et le Sgen-CFDT, qui a soutenu avec ardeur la LRU puis le décret sur le statut dans toutes ses versions successives, est tout simplement burlesque pour quiconque connaît le paysage universitaire.

    Si l'on veut prendre le pouls de la mobilisation, rien de plus simple: il suffit de s'informer auprès de la Coordination, ou encore de SLR ou de SLU, bien plus représentatifs qu'aucun syndicat. Même les médias, lorsqu'ils veulent faire entendre des témoins privilégiés du mouvement, font volontiers intervenir Isabelle This-Saint-Jean, présidente de SLR, ou Jean-Louis Fournel, président de SLU. Des acteurs que le ministère connaît bien – mais qu'il se garde de convier à la table des négociations.

    Vendredi dernier, cette stratégie d'intoxication a connu ses premiers ratés: si Sud-Ouest persistait à croire à un "Accord sur le statut des enseignants-chercheurs", La Tribune distinguait plus clairement "Les universités sous pression malgré les déclarations de Valérie Pécresse". Il est vrai qu'il est difficile d'afficher tous les trois ou quatre jours un communiqué de "sortie de crise", alors que nulle amélioration n'est perceptible sur le terrain.

    Cela va même de mal en pis. Ces manipulations ont exaspéré les universitaires. Le durcissement clairement perceptible des mots d'ordre de la dernière coordination – qui appelle maintenant «l’ensemble des universités à des actions de blocage, de filtrage ou d’occupation des campus» – est la conséquence directe du choix du ministère de la gesticulation médiatique au détriment du dialogue avec la communauté. La semaine qui vient risque d'être haute en couleurs.

    Qui croit encore que Valérie Pécresse veut régler ce dossier dans l'intérêt des personnels? Le soupçon s'insinue au contraire que sa gestion de crise a désormais pour principal objectif de sauver sa carrière. Céder aux chercheurs équivaudrait sans doute à un arrêt de mort politique auprès de l'électorat UMP.

    En choisissant de préserver son destin personnel, la ministre s'est placée le dos au mur. Avec les universitaires, le rapport de confiance est brisé. On voit mal comment un nouveau projet de réforme pourrait être accueilli favorablement. Le discrédit s'étend à celles et ceux qui ont collaboré aux projets ministériels, qui apparaissent comme des traîtres ou des gogos. Il devient urgent d'éteindre l'incendie.


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