Par Arnaud REY ( CNRS)
A l’heure où la société civile s’offusque devant la pratique démesurée des bonus dans le monde de l’entreprise, notre organisme public de recherche, le CNRS (Centre national de la recherche scientifique) s’offre pour ses 70 ans une cure de prime à l’excès. Ceux qui brilleront plus (sur le plan scientifique), logiquement, presque naturellement, gagneront plus (15 000 euros de prime pour les excellents, 25 000 euros pour les très excellents). Bien entendu, on est loin des bonus distribués aux cadres du secteur privé. Cependant - proportionnellement au niveau de rémunération de base d’un chercheur au CNRS, débutant aux alentours de 2 000 euros par mois après huit années d’études post-baccalauréat, pour atteindre, dans le meilleur des cas, 6 000 euros en fin de carrière -, le principe semble le même : valoriser encore un peu plus ceux qui bénéficient déjà d’une réussite académique remarquée et confortable sur le plan narcissique. Accentuer donc les déséquilibres plutôt que de les réguler. Il ne s’agit pas de remettre en question le principe général de la récompense, mais d’interroger une logique de l’excès dans le champ de la distinction. La réussite scientifique est déjà récompensée dans le système actuel par une progression plus rapide dans le déroulement de carrière et les promotions aux grades supérieurs(qui s’accompagnent d’une augmentation du niveau de rémunération).Le principe de la récompense fonctionne donc bien, même si on a pu regretter ces dernières années une forme d’engorgement au niveau des promotions (beaucoup de candidats valeureux pour peu de postes).
Il semble cependant que cette carence ait été prise en compte dans le plan de restructuration du CNRS qui est en cours et il faut reconnaître ici une réponse positive à une requête du milieu de la recherche. Alors, si de vrais efforts financiers ont bel et bien été consentis, pourquoi renchérir et basculer dans la logique des bonus et autres primes d’excellence ? Pourquoi succomber au chant de ces sirènes modernes qui, pour quelques bouffées de jouissance supplémentaire, drainent avec elles les désagréments qui résultent de toute forme d’élitisme hyperbolique ? Pourquoi n’a-t-on pas encore compris que cette stratégie du déséquilibre, qui vise à donner de très grosses récompenses à peu d’élus, conduit à davantage d’isolement et de fragmentation dans un système dont la force et l’élégance reposent sur la communication et l’interaction de ses composantes ? Il faut noter par ailleurs que «sur-récompenser» les excellents (qui sont bien souvent les plus anciens du système) ne sert à rien. Un(e) excellent(e) ne peut, par définition, devenir encore plus excellent(e). L’excellence est asymptotique.
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