A Sciences-Po, il y a une majorité au pouvoir et une opposition. Mais contrairement à ce qui se passe dans la vie politique française dont l’élite se forme rue Saint-Guillaume, la critique des dirigeants s’y chuchote, anonyme, quasi clandestine. Venue manifester avec d’autres devant les portes de l’école contre la réforme des cours de langues, une enseignante se cache derrière des lunettes de soleil par peur d’être reconnue.
Pas une seule personne rencontrée au cours de cette enquête qui n’exige de parler en off, à l’exception des directeurs. Certains ne répondent que surpris par un coup de fil. D’autres acceptent de parler, mais n’accordent jamais de rendez-vous. Une syndicaliste exige de savoir qui a donné son nom à Mediapart. Un opposant déclaré se rétracte comme une huître une fois l’entretien débuté. Plus on entre dans le système Sciences-Po mis en place par son directeur, Richard Descoings, plus pèse une atmosphère secrète, inquiète.
Pourquoi s’intéresser à Sciences-Po ? Parce que c’est le modèle d’enseignement toujours brandi pour critiquer l’université et en déclarer la faillite, malgré les deux différences majeures qui l’en séparent : la sélection des étudiants et les frais d’inscriptions. Parce que la vénérable et poussiéreuse institution de la rue Saint-Guillaume s’est radicalement transformée en treize ans : plus sérieuse, plus internationale, plus grosse, plus riche, plus ambitieuse, plus branchée, plus populaire. Parce que le « succès » de Richard Descoings à sa tête en fait un éternel candidat aux maroquins ministériels. Et une voix sollicitée par Nicolas Sarkozy pour penser la réforme du lycée.
A quel prix s’est bâti ce nouveau Sciences-Po ? Pour ses personnels, pour ses enseignants et pour ses étudiants ? Au service de l’intérêt général ou au bénéfice d’une série d’intérêts particuliers ? Et au service de quelle vision de l’enseignement supérieur et de la recherche ? Derrière la communication et les coups d’éclat, la face cachée de la réussite de Sciences-Po est un véritable laboratoire des mutations en cours dans le monde universitaire.
Début 2009, deux enseignants-chercheurs de Sciences-Po, le politiste Philippe Braud et l’historienne Claire Andrieu prennent leur courage à deux mains. Ils font circuler un texte critiquant le flou des instances de décision et le mépris visant les universitaires, notamment pour leur « qualité de fonctionnaire d’Etat ». C’est une critique en règle du système Descoings. La lettre – suivie par trois autres à quelques semaines d’intervalle – est envoyée à tous les enseignants universitaires et chercheurs de Sciences-Po, soit 189 personnes au total, ainsi qu’aux responsables de l’institution.
« On entendait les gens se plaindre, mais toujours dans l’arrière-salle », explique Philippe Braud. Résultat : « On a eu une réunion, il n’y avait qu’une quinzaine de personnes, c’est la grande trouille ! » se désole un autre prof, soutien de leur démarche. Mais « je crois que ça n’avait jamais eu lieu dans l’histoire de Sciences-Po, dit Claire Andrieu, ici la contestation est illégitime, elle n’existe pas ».
« Sciences-Po est une monarchie, ou un système sultanique, rien ne se fait sans l’accord de son directeur », analyse un ponte de la maison, autrefois plus en cour qu’il ne l’est aujourd’hui. « Il n’y a pas de contre-pouvoir », ajoute un autre. Pas de syndicats d’enseignants. Pas de grève. Des étudiants menacés oralement de perdre leur diplôme pour avoir participé à l’occupation de Sciences-Po contre la LRU. Des membres de la direction recrutés parmi les anciens syndicalistes étudiants. Des conseils d’administration et de direction « croupions », selon un ancien membre du conseil d’administration : « Ce sont des yesmen, des aplatis. »
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