Par Pierre Jourde
En ces temps de rentrée, j'aimerais revenir sur le sujet agaçant de l'évaluation des universitaires. Je l'ai déjà écrit, il y a peu de professions où l'on soit aussi sévèrement sélectionné et évalué. Tout universitaire l'est à plusieurs reprises au cours de sa carrière, par plusieurs instances différentes : pour obtenir ses diplômes et concours, férocement sélectifs, pour être recruté, pour passer à un grade supérieur, pour progresser dans sa carrière, pour obtenir des congés pour recherche ou des détachements. En outre, la production globale de la recherche universitaire en France est énorme compte tenu des conditions matérielles dans lesquelles elle se réalise et de la pesanteur croissante des obligations administratives accumulées par une administration en délire, qui produit continûment des inventions bureaucratiques.
Si l'on considère tous ces facteurs, l'obsession de l'évaluation est purement idéologique. C'est l'application aveugle de préjugés sur le métier d'universitaire, sans connaissance de la réalité, et de marottes intellectuelles à la mode, sans réflexion sur leurs conséquences pragmatiques. Le caractère commun à la plupart des réformes entreprises dans ce pays est en effet qu'elles sont dépourvues de tout pragmatisme, partent d'une ignorance profonde du terrain et plaquent des abstractions sur des réalités humaines. Cela fait, régulièrement, des ravages. Après quoi, comme cela ne marche pas, évidemment, on pond une autre réforme, on empile texte sur texte, sans réaliser que l'entassement de ces réformes est l'un des plus sûrs moyens d'enlever toute efficacité aux services publics.
Demandez aux juges ou aux médecins hospitaliers, qui croulent sous les textes accumulés et les tâches administratives sans cesse croissantes, ce qu'ils en pensent. Sous prétexte de rendre les services publics plus efficaces, l'obésité bureaucratique les alourdit jusqu'à la paralysie. Naguère, une plaisanterie récurrente comparait le système éducatif français à l'armée rouge. Les effectifs étaient du même ordre. Il serait encore plus juste de dire que l'éducation nationale et l'enseignement supérieur réunis offrent désormais un bon équivalent de la défunte bureaucratie soviétique : un système étouffant, hermétique, à la complexité délirante, où l'on traque le moindre espace libre et non réglementé, où l'on produit continûment des rapports rédigés dans l'idiome clérical de rigueur.
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