• L’évaluation de la recherche en question - La vie des idées

    La question de l’évaluation de la recherche est au cœur du mouvement de protestation qui anime les universités et les laboratoires depuis de longs mois. Plusieurs revues lui consacrent des numéros spéciaux : au-delà du caractère massif des oppositions aux réformes, une lecture attentive révèle des divergences d’appréciation sur le rôle de l’évaluation et sur la relation entre science et société.

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    Recensés : 
    - « La fièvre de l’évaluation », numéro spécial de la Revue d’histoire moderne et contemporaine, supplément n° 55-4 bis, 2008. 
    - « L’idéologie de l’évaluation, la grande imposture », numéro spécial de Cités, n° 37, 2009. 
    - Christophe Charle, « L’évaluation des enseignants-chercheurs », Vingtième Siècle. Revue d’Histoire, n° 102, avril-juin 2009, p. 159-170. 
    - Patrick Fridenson, « La multiplication des classements », Le Mouvement Social, n° 226, janvier-mars 2009, p. 5-14.

    La question de l’évaluation a été placée, depuis quelques mois, sous les feux de l’actualité par le mouvement social qui s’oppose au décret instaurant la modulation du service des enseignants-chercheurs en fonction de leurs « performances » individuelles. Cette question s’était néanmoins déjà imposée depuis plusieurs années au cœur de la pratique quotidienne des universitaires et des chercheurs. Qu’elle se traduise par les initiatives des étudiants pour évaluer les enseignements, par l’utilisation grandissante des indices bibliométriques, par la généralisation de la pratique des appels d’offre de l’Agence nationale de la recherche (ANR), ou par les visites de l’AERES (Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur), la rapidité de l’évolution des pratiques de l’évaluation et la multiplication de ses procédures suscitent des interrogations et des inquiétudes. Celles-ci semblent s’être soudainement et violemment cristallisées à la suite de la présentation du projet de décret de réforme sur le statut des enseignants-chercheurs. La prise à bras le corps de cette question de l’évaluation par des numéros spéciaux de la Revue d’histoire moderne et contemporaine sur « la fièvre de l’évaluation », et de la revue Cités sur l’« idéologie de l’évaluation : la grande imposture », et par des articles du Mouvement Social et de la revue Vingtième Siècle, a le mérite de venir éclairer l’actualité la plus brûlante en la replaçant dans le temps plus long de l’évolution des politiques de la recherche et de l’enseignement supérieur. Le traitement approfondi de cette question par des revues de sciences humaines et sociales est d’autant plus bienvenu que les médias de grande diffusion peinent parfois à s’élever au dessus de la communication gouvernementale, des caricatures ou des préjugés, et à véritablement rendre compte des enjeux profonds du débat, comme le compte rendu du numéro spécial de Cités paru dans Le Monde le 21 mars dernier, avec son titre dédaigneux, « Chercheurs qu’on martyrise », l’illustre malheureusement. La lecture de ces numéros spéciaux montre pourtant qu’il existe, au sein même de communauté universitaire et scientifique, au-delà du rejet assez massif de la politique du gouvernement actuel, des différences de sensibilité et un véritable débat, comme l’illustrent bien les éditoriaux très contrastés qui viennent introduire les dossiers de la Revue d’histoire moderne et contemporaine et de Cités.

    L’évaluation : imposture ou véritable enjeu ?

    Dans l’éditorial de la revue Cités, Yves Charles Zarka voit l’évaluation comme un aspect des « grandes impostures de notre temps, celles qui ont été à l’origine de guerres, de la crise financière et économique gravissime que le monde connaît aujourd’hui », tandis que la Revue d’histoire moderne et contemporaine appelle les milieux de la recherche à « prendre à bras le corps […] et ne pas se laisser dessaisir de cet enjeu majeur qu’est l’évaluation ». Dans le premier cas, il s’agit aussi de dénoncer « la mise en place de dispositifs […] discrets à leur niveau, très nocifs et même pervers […]. Un système inquisitorial, qui double et surplombe les procédures existantes d’examen, d’appréciation et de jugement, continue de se mettre en place en dénonçant ceux qui, par hasard, oseraient s’y opposer comme partisans du statu quo, de l’inefficacité et du déclin ». Dans l’autre cas, il s’agit de se mobiliser pour ne pas se laisser « enfermer dans la caricature d’un milieu frileux et arbitraire, qui ne pourrait être ramené que de l’extérieur à une “loi commune” – en vérité totalement hétéronome – de l’“efficience” et de la “compétitivité” ». En schématisant, on voit bien là transparaître, au-delà des circonstances particulières qui ont présidé à la réalisation de ces deux numéros spéciaux, deux interprétations opposées quant aux relations entre les instances du pouvoir et la société. Il s’agit d’un véritable débat de fond qui traverse les sciences humaines et sociales et qui se traduit par des clivages dans la manière dont les enseignants-chercheurs envisagent leur rapport à la société. Dans un cas, l’évaluation est l’instrument d’un pouvoir qui impose ses représentations d’en haut et qu’il convient de combattre par une critique radicale – un des rôles fondamentaux de l’universitaire est alors de produire des « contre-discours » –, dans l’autre, la société civile – représentée ici par les milieux de la recherche –, est aussi productrice de pouvoir et actrice à part entière dans la formation des normes fondant les relations qui la lient au pouvoir étatique. Les origines de l’évaluation sont ainsi présentées de façon plus ou moins univoque dans les deux revues.

    La suite ici: http://www.laviedesidees.fr/L-evaluation-de-la-recherche-en.html 


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