• Les racines du désarroi de la jeunesse - Slate.fr

    Le système fonctionne comme un impitoyable entonnoir au service des enfants des couches intellectualisées - Par Monique Dagnaud.

    Le gouvernement entend imposer des quotas d'étudiants boursiers dans les «grandes écoles» et se heurtent à une forte opposition de ces institutions. Les «grandes écoles», spécificité du système français d'éducation supérieur, qui seraient aujourd'hui le principal vecteur de la reproduction des élites et du blocage de l'ascenseur social, n'entendent pas pourtant changer de modèle.

    Nous republions à l'occasion de ce débat un article, mis en ligne en mars 2009, de Monique Dagnaud sociologue et directrice de recherche au CNRS, sur le désarroi de la jeunesse française face à l'absence de toute ouverture de son système d'éducation et notamment de la filière classes préparatoires-grandes écoles.
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    Au pays de Voltaire, les principes autour de l'éducation exsudent de générosité. «Sois toi-même, développe tes potentialités» dit le parent aimant à sa progéniture. Dans l'acheminement vers l'âge adulte, cette incitation revient à valoriser l'expérimentation, le libre arbitre, la construction de sa propre subjectivité, et non comme autrefois l'identification aux modèles parentaux. Etre l'entrepreneur de sa propre vie, l'enfant est bercé par cette rengaine... qui se met en sourdine lors de l'entrée dans la grande école.

    Cette dernière pose un autre impératif. L'excellence scolaire est inscrite comme la voie royale pour l'accès à une position dans la société, pour la promotion sociale, et même pour l'épanouissement individuel. Hors de l'école, peu de salut: les places dans la société se distribuent presque irrémédiablement en fonction du niveau atteint, et de la filière scolaire dans laquelle chacun s'est engouffré pendant les vingt premières années de sa vie.

    A vingt ans les dés sont jetés. La promotion au mérite dans l'entreprise, à la débrouillardise, le «yes we can» («Oui, nous pouvons») de l'optimisme américain sont réservés à ceux qui vraiment n'ont pas pu faire autrement : et de toute façon ils n'iront guère haut dans l'échelle sociale. Enfin, ne pas avoir de diplôme du tout constitue aujourd'hui une calamité, un handicap infiniment plus pénalisant qu'autrefois, quand c'était le lot de l'écrasante majorité des jeunes, et quand nombre de secteurs employaient facilement de la main d'œuvre sans requérir ce fameux sésame.

    La précocité dans la réussite scolaire, enfin, se révèle un paramètre décisif, quoique d'une bienséante discrétion. Sous la bannière fleurie de la méritocratie républicaine, la distribution des cartes s'opère de manière précoce par une sélection via les filières et les établissements d'excellence. Dans l'école républicaine, mieux vaut avoir un an d' avance même avec des résultats moyens qu'être «en retard» avec des notes brillantes.

    Cette sélection très en amont, cette prime donnée à l'avance en âge, c'est la martingale des enfants de la bourgeoisie, puis qu'elle revient à potentialiser les atouts culturels du milieu familial. Le système fonctionne comme un impitoyable entonnoir au service des enfants des couches intellectualisées : alors que les cadres et professions intellectuelles ne représentent que 11% de la population française, leurs enfants représentent 30% des étudiants du supérieur et plus de la moitié des classes préparatoires. L'ouverture des grandes écoles aux enfants d'origine populaire, déjà fort étroite, s'est encore raréfiée -au point que plusieurs d'entre elles ont du recourir à des mécanismes de discrimination positive qui, timidement, corrigent le tir.

    Le système d'enseignement est organisé pour sélectionner une petite élite, dont la plupart des membres seront passés par la filière des classes préparatoires: soit environ 5% d'une classe d'âge. Ceux-ci trouveront (presque) à coup sûr une place dans une plus ou moins grande école et pourront réaliser leur rêve car, en France, un diplôme d'une école prestigieuse ouvre toutes les portes, y compris dans les secteurs professionnels qui ne sont pas liés au diplôme d'origine (par exemple les industries de l'image ou l'humanitaire).



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