• Lettre ouverte à Alain Badiou, philosophe, après lecture de son livre: De quoi Sarkozy est-il le nom? - par Florence

    J'ai donc lu votre livre, et la chose étonnante qu'il m'est arrivé est la suivante: nous avons pensé EXACTEMENT les mêmes choses pour ce qui est du premier tiers de votre livre, en revanche pour les deux autres tiers, je ne vous suis plus du tout, le point de rupture n'étant pas encore tout à fait précisément page 45 où vous commencez de parler de Lacan, mais page 53 au sujet du “service des biens”. J'avais lu des passages de L'Etre et l'événement, mais c'était il y a longtemps et je ne reviendrai pas sur la notion d'événement, ni sur ce livre.

      Je commence par le premier tiers de De quoi Sarkozy est-il le nom? où nous avons, je vous assure, pensé et fait la même chose: je n'ai absolument pas cédé à ce que vous nommez “la psychose Le Pen” puisque je n'ai jamais voulu de carte d'électeur, puisqu'effectivement pour moi le “contenu” prime sur le “nombre”, et qu'en philosophie le nombre ne fait pas droit. Je ne sais pas si vous avez lu le livre de Jean ALLOUCH, psychanalyste, intitulé: Le sexe du maître, editions Exils, à mon avis c'est fort possible puisqu'à un moment vous dites la même chose, page 9 rapidement, sur la nécessité de certains d'avoir “un maître qui les protège”  et c'est de là que part toute votre analyse de la peur primitive et de la peur de la peur. Je ne dirai pas au passage, que lors du passage en 2002 de Le Pen au second tour je n'ai pas eu peur, vivant en imaginaire un monde dirigé par celui-là, mais dans les actes je n'ai pas cédé, je suis quelqu'un qui ne voit pas du tout à quoi sert une carte d'électeur. Je partage toute votre analyse sur l'élection (”ce qui vient à défaillir dans le vote n'est autre que le réel”, “la peur va valider l'Etat”, “Il (l'Etat) aura alors les mains libres, parce que, dès que l'Etat a été investi par la peur, il peut librement faire peur” etc…). Et aussi, ce que je pense aujourd'hui à cent pour cent, page 16: “C'est que la vérité de la situation, c'est la guerre.” Et je partage également tout à fait votre avis sur (page 21) le fait que pendant la Seconde Guerre Mondiale, les “Français”, c'était les Résistants, ET C'EST TOUT. D'après le dictionnaire de la Résistance il y avait 500 000 résistants sur 50 millions de Français. “Ceux qui n'ont pas consenti aux abaissements…”

      Voilà pourquoi je dis: aujourd'hui nous sommes face à nous-mêmes, notre passé, notre présent, notre futur, nous croyions quoi? Que nous allions enterrer les martyrs, que l'ONU avait réglé tous nos comptes avec ceux qui n'étaient pas parmi les 500 000 résistants? Que l'Histoire ne nous rattraperait pas? Elle nous rattrape et nous sommes là, aujourd'hui, enfin, face aux vrais comptes qui n'ont pas été réglés. Que c'est bien fait pour nous, ce qui nous arrive, que nous l'avons mérité si nous ne résistons pas. Je n'ai pas voté pour cette élection de 2007 non plus, parce que toujours pas la moindre envie d'une carte d'électeur, malgré les propos peureux qui montaient ici et là, les psychoses qui se développaient sur les visages de ceux qui n'ont pas su garder leur tête, et parce que c'est antinomique avec la psychanalyse. C'est à notre tour aujourd'hui, de montrer qui nous sommes, nous qui ne votons pas, et les autres, à notre tour de faire nos preuves parce que oui je pense comme vous, nous sommes en guerre, et chacun, dans ce qu'il est au plus profond de lui-même, va devoir faire ses preuves, sur vivre debout ou mourir. Et je crois aussi comme vous, que notre meilleure alliée est la propre peur de Sarkozy (pour s'entourer de tous ces gardes du corps, quelle vie!), que son meilleur ennemi, c'est lui-même. Pour le reste, grâce à la psychanalyse, je sais tout par coeur. Et personnellement, je n'ai pas peur.
    Et c'est à partir de cette page 53, sur le “service des biens” que je ne vous suis plus. Parce que Lacan, dans l'Ethique de la psychanalyse a écrit: “avoir des biens consiste à en priver autrui”, dans le chapitre “la fonction du bien”, je crois. Et Darwin,  l'Origine des espèces, chapitre 5, intitulé “la lutte pour l'existence”, qu'en faites-vous? Voilà pourquoi je laisse ici chacun face à lui-même, en donnant une petite orientation personnelle: dans le même livre de Lacan, ce qui fait gagner la petite Antigone face à Créon et précipite toute la cité dans le malheur, les incendies, le sang, c'est que: “quelque chose d'au-delà de l'Atè (l'atroce) a été franchi par Créon, maître de la cité, quelque chose qui fait que le mal d'Antigone, c'est-à-dire le bien de Créon, devient le bien d'Antigone” (chapitre, je crois, Antigone dans l'entre-deux-morts). Et qui fait dire à l'Antigone de Anouilh: “Tu m'ordonnes, cuisinier, tu crois que tu peux m'ordonner quelque chose?”

      C'est le déluge qu'a déclenché Créon, il a fait une erreur, dit Lacan.

      Alors courage, il n'y a que lorsque l'on croit qu'il y a un Maître qu'il y en a un (je ne fais que reprendre Jean ALLOUCH), même si je ne donne pas ce même nom “courage” tel qu'Alain Badiou le définit dans son livre au mot courage, ni même à l'impossible, je dirais que le courage, pour moi, c'est évidemment ce qu'il faut, mais surtout ce que Lucie Aubrac a nommé: “il n'y a d'impossible, que ce que l'on n'a pas tenté de surmonter” (Ils partiront dans l'ivresse, Seuil).

    Florence


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